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LA MORT D’ARTUS

brûler sa femme, car il lui était avis qu’une reine ointe et sacrée devait mourir par le feu.

— Sire, lui dit messire Gauvain, je vous rends tout ce que je tiens de vous et de ma vie je ne vous servirai plus, si vous souffrez une telle chose. À Dieu ne plaise que je voie mourir madame de la sorte !

Mais le roi ne lui répondit même pas, car il avait l’esprit ailleurs. Et messire Gauvain fut s’enfermer dans son logis ; certes, si le monde entier eût péri sous ses yeux, il n’eût pas fait paraître plus de chagrin !

Cependant, le roi mandait à ses neveux Agravain, Guerrehès, Gaheriet et Mordret de prendre quarante chevaliers et d’aller garder le champ où était le bûcher. Guerrehès et Gaheriet refusèrent d’abord, mais il les fit venir et les menaça tant qu’enfin ils consentirent. Et, pendant qu’ils allaient s’armer en leur logis, il fit comparaître la reine devant lui. Hélas ! quand il la vit pleurant, vêtue de soie rouge, et si belle et avenante qu’on n’en eût pas trouvé la pareille au monde, il pensa pâmer tant son cœur se serra ! Pourtant, il ordonna de la conduire au bûcher dont la flamme déjà se voyait du palais. Et sachez que, dans toute la cité, les bourgeois et le menu peuple lamentaient à cette heure si hautement qu’on n’eût pas entendu Dieu tonner : il n’était homme ni femme qui ne pleurât comme si c’eût été sa propre mère qu’on dût brûler.