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LA CRUAUTÉ DES DAMES

— Jamais je ne l’aimai autant que je le hais aujourd’hui.

— Dame, il n’est qu’une chose au monde que craigne messire mon cousin : c’est votre courroux, et, s’il savait les paroles que vous m’avez dites, je n’arriverais pas à temps pour l’empêcher de se tuer de chagrin. Aussi bien, un prud’homme qui aime longuement d’amour finit toujours par être honni : la vraie histoire des anciens Juifs et Sarrasins le fait assez voir. Regardez celle du roi David : son fils, la plus belle créature que Dieu ait jamais formée, lui fit la guerre pour complaire à une femme et en mourut vilainement ; ainsi trépassa le plus beau des Juifs. Et voyez Salomon même ; Dieu lui donna plus de science et de vertu qu’un cœur d’homme n’en a jamais eu : il renia Dieu pour une femme, par laquelle il fut honni et trompé. Samson le fort, le plus vigoureux homme né de mère pécheresse, reçut la mort par une femme. Hector et Achille, qui eurent la louange et le prix des armes et de la prouesse sur tous les chevaliers de l’ancien temps, ils furent occis, et plus de cent mille hommes avec eux, pour une femme que Paris le berger enleva de force en Grèce. Et de notre temps même, il n’y a pas cinq ans, Tristan, le neveu du roi Mark, qui aima si loyalement Iseut la blonde et jamais de son vivant ne lui manqua en rien, il mourut par elle. Vous ferez pis que toutes ces dames,