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MÉLÉAGANT L’ORGUEILLEUX

passer le pont la reine Guenièvre que tu fais mal de retenir, et je délivrerais les autres captifs, car leur prison a assez duré. Et tout le monde dirait que tu as rendu par franchise ce que tu as conquis par prouesse ; cela te serait à grand honneur.

— Je ne vois pas là d’honneur, mais fine couardise seulement ! dit Méléagant. Il faut que le cœur vous manque pour que vous me donniez un tel conseil. Soit-il Lancelot lui-même, celui-là ne me fait pas peur ! Et vous pouvez l’héberger à votre guise : j’aurai d’autant plus d’honneur à défendre mon droit, que vous l’aiderez davantage contre moi.

— Qui t’a dit que c’est Lancelot ? Par ma foi, je n’en sais rien, car je ne l’ai encore vu que tout armé et couvert de son heaume. Si c’était lui, tu aurais tort de vouloir l’affronter : cela ne te vaudrait rien.

— Jamais je n’ai trouvé personne qui m’estimât moins que vous ! s’écria Méléagant. Mais plus vous me déprisez, plus je me prise. Et vous aurez demain assez de joie ou de deuil, car, moi ou lui, l’un de nous quittera ce monde.

— Puisqu’il en est ainsi, je n’en dirai pas plus, mais si je pouvais te détourner de cette bataille sans forfaire, certes je ne te pendrais point l’écu au col. En tout cas, ce chevalier n’aura à se défendre contre nul autre que toi, car jamais je ne fus traître et je ne le serai jamais.