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LA QUÊTE INFRUCTUEUSE

de laisser ce soin à la reine, qui était plus experte que lui. Et certes elle s’appliqua autant qu’elle put, car maint haut homme regardait le jeu ; pourtant elle fut bientôt matée en l’angle, et chacun de rire. Mais, lorsqu’on sut que Lancelot avait gagné la partie, tout le monde pensa que nul ne l’égalait en chevalerie ; quant à la reine, elle sentit qu’elle ne pourrait plus longtemps encore se passer de lui. Désormais, chaque jour, elle monta sur sa tour, d’où l’on découvrait à la ronde plus de dix lieues de pays, pour guetter sa venue.

Un matin, elle vit un chevalier sortir de la forêt, tout seul, sans écuyers ni sergents ; il avançait au petit pas sur un cheval recru de fatigue et qui ne semblait plus bon qu’à livrer aux mâtins, mais si fièrement qu’on sentait bien qu’il était homme de grande défense, et elle crut reconnaître Lancelot ; mais c’était messire Gauvain. Bientôt, Agravain, Guerrehès, Gaheriet et Mordret arrivèrent à leur tour. Et le lendemain revint messire Yvain le grand ; puis ce fut Sagremor, puis Keu le sénéchal, Lucan le bouteiller, Giflet fils de Do. Leurs chevaux étaient étiques et las, leurs heaumes décerclés, bossués, leurs écus dépecés et décolorés, leurs cottes d’armes en loques, leurs hauberts tout rouillés et recoquillés, parce qu’ils n’avaient pas été fourbis et roulés depuis longtemps ; plusieurs avaient des lances faites d’une grosse