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LE CHÂTEAU AVENTUREUX

n’y avait pas une âme à la cour à qui elle osât dire ses pensées. Elle menait sa vie accoutumée, usant ses jours à broder d’or et de soie, à écouter des contes, à jouer aux échecs et aux tables, à faire manger son faucon au poing ; mais, chaque fois qu’elle était seule, elle ouvrait la boîte d’ivoire que Lionel lui avait apportée, et elle regardait les cheveux de son ami, puis les baisait aussi pieusement qu’une relique. Parfois aussi elle se faisait chanter par ses pucelles les chansons et les complaintes les plus tristes qu’elles connussent, comme celle de la dame du Faiel dont le sire partit pour la croisade et ne revint jamais.


Je chante pour mon courage
Que je veux réconforter,
Car j’ai eu si grand dommage
Que je crains de m’affoler.
Las ! de la terre sauvage
Mon seigneur n’est pas rentré !
Mais je sens mon cœur plus sage
Quand de lui je peux parler.

Quand ils crieront : « Outrée ! »
Dieu, aidez au pèlerin
Pour qui suis épouvantée :
Car félons sont Sarrasins !

Je souffrirai mon dommage
Et les ans pourront passer.