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L’ÉCHIQUIER MERVEILLEUX

du monde ; puis il partit, et son frère demeura en compagnie de la pucelle.

« Durant quatorze ans, elle se plut à regarder les caroles, et plus de cent cinquante chevaliers amoureux et un peu moins de dames furent retenus ici. Mais (tant femme varie), au bout de ce temps, elle pria Guinebaut d’inventer quelque autre jeu pour la divertir. Alors il fit un échiquier d’ivoire et de pierres précieuses, et des échecs d’or et d’argent, et un jour, après dîner, il lui apporta le tout, en la priant de s’asseoir et de jouer.

« — Mais avec qui ? demanda-t-elle. Vous n’êtes pas de force contre moi.

« — Jouez de votre mieux, répondit-il.

« Elle poussa un pion : un autre aussitôt s’avança de lui-même ; et, malgré qu’elle en eût, elle se vit bientôt battue par l’échiquier merveilleux. Longtemps elle s’en amusa, jusqu’à ce qu’enfin elle et Guinebaut mourussent.

— Puisque j’ai mis fin à l’aventure de la carole, dit Lancelot, il faut maintenant que j’essaye celle de l’échiquier.

On le lui apporte ; il range les pions d’argent en face des pions d’or, et le voilà qui manœuvre si habilement ses paonnets, son chevalier, son roc, qu’il mate en l’angle le roi adverse ; certes, ceux qui virent cela s’en ébahirent ! Il appela un chevalier, qui était du royaume de Logres, et le pria d’aller à Camaaloth saluer de sa part le roi