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LA DAME MAL MARIÉE

arbres, au bord de la source, dont l’aînée avait bien soixante ans, la plus jeune moins de vingt et la troisième, celle qui lui avait parlé, quarante. Elles avaient étendu une nappe sur l’herbe fraîche et faisaient collation d’un pâté de chevreuil, sans autre compagnie que d’un valet qui les servait dans une coupe d’argent. Elles se levèrent pour saluer Gaheriet et le prièrent de manger avec elles. À quoi il consentit volontiers.

Cependant, il ne pouvait s’empêcher de regarder la jeune dame qui lui semblait fort belle, et qui l’était, mais tellement dolente aussi, qu’il s’en étonna.

— Ha, dame, lui dit-il, à quoi pensez-vous tant ? Certes je ne vis jamais une belle personne moins enjouée. Êtes-vous courroucée de me voir manger avec vous ?

— Nenni, sire, mais je songe à une chose qui me pèse lourdement au cœur.

— Un étranger la pourrait-il changer ?

— Oui, s’il y voulait mettre sa peine. Il y a deux ans que mourut mon père, le sire de la Bretèche. Orpheline et faite comme je suis, ma mère pensa que, si elle ne me mariait tôt, on me prendrait de force, et elle demanda conseil à nôtre sénéchal. Celui-ci était né de vilains ; mon père l’avait armé chevalier pour sa grande richesse : hélas ! qui de son serf fait un seigneur, il a mauvais loyer ! Le sénéchal pria si fort ma mère qu’elle me donna à lui, malgré que j’en