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L’ÉPÉE BRISÉE

— La maison du roi Artus comprend tous les plus prud’hommes du monde, lui dit-elle ; il ne leur manquerait rien s’ils étaient de notre loi.

— Comment, dame, n’êtes-vous pas chrétienne, vous et votre gent ?

Elle répondit qu’elle était païenne, et messire Gauvain devint tout soucieux : dont elle se chagrina, car tant plus elle le regardait, tant plus elle l’admirait ; et elle était très avenante, mais il avait un si vigoureux cœur que cela ne lui était de rien. Quand l’heure du manger fut venue, elle le fit asseoir auprès d’elle et servir de toutes les choses qu’elle pensa qui lui seraient belles et bonnes ; puis, après avoir causé quelque temps, elle le fit conduire à un haut et riche lit.

Or, lorsque tout le monde fut endormi, elle vint s’appuyer à son chevet et, mettant sa joue contre la sienne, elle le pria de se souvenir d’elle. Messire Gauvain la prit dans ses bras et l’attira doucement, et, comme elle pleurait, il la baisa au visage, mais en se gardant de la bouche. La dame en fut toute courroucée : c’est que le feu d’amour, qui a fait faire maintes folies aux plus prud’hommes, l’avait saisie et l’embrasait si durement que messire Gauvain en sentait la chaleur à travers sa robe. Il s’efforça de la consoler :

— Ma douce dame, lui dit-il, ne vous déconfortez pas : il n’est rien au monde que je ne fisse pour vous.

À ces mots, elle voulut le baiser aux lèvres,