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LES AMOURS DE LANCELOT DU LAC

ladie pouvait avoir ce chevalier ; à vrai dire peut-être la soupçonnait-elle.

— Dame, dit une vieille, m’est avis que son cœur est à malaise, car il advient maintes fois que le cœur souffre d’une maladie où nulle médecine mortelle ne peut rien, et seule y convient la médecine de Notre Seigneur, comme aumônes, jeûnes, oraisons, larmes et conseils de religieuses gens. Et il est une autre maladie du cœur : c’est quand il est angoissé de quelque honte qui a été faite au corps ; on se guérit alors en tirant vengeance du forfait, en rendant honte pour honte. Le cœur est la plus franche et la plus nette partie de l’homme, et il prend sur lui toutes les hontes et tous les maux, car le corps n’est que la maison du cœur. Mais maintenant je vous dirai la troisième maladie par laquelle un franc cœur est à la torture : c’est le mal d’amour, quand on ne peut venir à bonne fin. Amour entre par les yeux et les oreilles, et si le cœur est percé par une de ces portes, toujours il lui convient souffrir : car, quand même il entend les douces paroles et jouit de la compagnie de ce qu’il a tant désiré, il craint encore de le perdre. Telles sont les trois maladies du cœur : l’on guérit de la première et de la seconde comme j’ai dit ; mais la troisième est la plus dangereuse parce qu’il arrive que le cœur n’en veuille guérir ; et quand ainsi il préfère son mal à sa santé, on ne sait quel conseil donner.