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LES AMOURS DE LANCELOT DU LAC

Il allait, perdu dans sa rêverie, comme celui qui n’a force ni défense contre amour, qui s’oublie lui-même, qui ne sait plus s’il existe, ni comment il a nom, ni où il va, ni d’où il vient. Daguenet le fol le croisa. C’était un chevalier, mais la plus niaise et la plus couarde pièce de chair qu’on ait jamais vue ; tout le monde se jouait de lui et s’amusait de ses folies, quand il contait qu’il était sorti pour chercher aventures et qu’il avait occis deux ou trois champions.

— Où allez-vous ? demanda le fol.

Et comme le chevalier pensif ne répondait pas, Daguenet saisit son destrier par le frein et il le ramena au château : dont Lancelot rêvant ne s’aperçut point.

Lorsqu’elle sut que Daguenet le fol avait conquis un chevalier, la reine fut bien ébahie ; elle lui fit dire d’amener son prisonnier.

— Voici le champion que j’ai pris ! s’écria fièrement le couard en entrant dans la salle. Tels sont ceux que je sais prendre !

Et il se pavanait, disant à chacun :

— De tels, vous n’en prendrez jamais !

— Daguenet, demanda la reine, par la foi que vous devez à monseigneur le roi et à moi, comment l’avez-vous conquis ?

Or, à la voix de la reine, qui lui parut un chant, le chevalier pensif leva la tête. Sans qu’il s’en aperçût, ses doigts s’ouvrirent ; il lâcha sa lance qu’il tenait par le milieu et dont