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LANCELOT FASCINÉ

Lancelot piquait des deux derrière lui, lorsque la reine, écartant son voile, révéla son visage : ainsi le soleil dissipe une nuée. Et, voyant soudain ce qu’il aima toujours plus que sa vie, il tomba en extase. Son destrier las, qui avait soif et ne se sentait plus mené, s’approche de l’eau pour s’abreuver ; la berge était haute : le cheval tend le cou, le pied lui manque, il choit dans la rivière profonde : Lancelot demeure les yeux fixés sur la reine. Le cheval perd ses forces, il coule, et déjà l’eau monte aux épaules du chevalier fasciné ; mais toujours il contemple sa dame. « Sainte Marie ! Sainte Marie Dame ! » criaient la reine et la pucelle. Messire Yvain, qui allait à la chasse chaussé de ses gros houseaux, les entendit et accourut au galop : il tira par la bride le destrier sur la rive.

— Beau sire, demanda-t-il, comment êtes-vous en cette rivière ?

— Sire, j’abreuvais mon cheval.

— Vous travailliez assez mal : un peu plus vous y étiez noyé ! Et où allez-vous ?

— Sire, je suivais un chevalier.

Lors, messire Yvain aperçut le vieil écu enfumé que portait celui qu’il venait de secourir : « C’est un pauvre vavasseur », pensa-t-il. Il se contenta de lui montrer le gué et le laissa partir sans plus s’occuper de lui. Et Lancelot s’en fut où son destrier le menait.