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DÉLIVRANCE DE NOHANT

rent du champ et, quand le cor sonna, ils chargèrent deux contre deux, aussi vite que leurs chevaux purent aller.

Keu et celui qui s’adressait à lui s’entre-choquèrent si rudement que la tête et le cœur leur tournèrent : tous deux lâchèrent leurs rênes et les poignées de leurs écus, perdirent leurs étriers et roulèrent à terre, où ils demeurèrent étourdis le temps de parcourir un arpent au galop. Cependant le damoisel frappait l’écu de l’autre, et d’une telle force qu’il le lui serra au bras et le bras au corps, et qu’il le fit voler par-dessus la croupe de son destrier, ses rênes rompues à la main. Et sitôt, qu’il eut passé, il revint au sénéchal qui se relevait.

— Prenez mon homme, sire Keu, et me laissez le vôtre !

Mais le sénéchal ne daigna répondre.

Alors le damoisel descendit de son destrier, car jamais il n’eût consenti à charger à cheval un homme à pied : jetant son écu sur sa tête, il envahit comme une tempête le chevalier qu’il avait démonté, et il le peina et le travailla si bien qu’en peu de temps il le força de se rendre à merci : ainsi l’alouette ne peut durer devant l’émerillon.

— Venez çà, sire Keu ! cria-t-il à nouveau. Voyez où en est celui-ci ! Laissez-moi le vôtre. Je ne me soucie pas de demeurer dans ce champ tout le jour.

— Beau sire, ne vous occupez point de ma