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GALEHAUT SIRE DES ÎLES LOINTAINES

on ficha en terre, de chaque côté de l’eau, deux gros troncs d’arbres renforcés de chaînes, et de l’un à l’autre on scella une planche d’acier, aiguisée et tranchante comme une épée, si claire, en outre, qu’on s’y fût miré : tel fut le premier pont, qu’on nomma pont Perdu ou pont de l’Épée. À un autre endroit, à cinq journées de là, le roi Baudemagu fit faire un autre pont d’une poutre étroite jetée entre deux eaux, de façon que celui qui y voudrait passer eût six pieds de rivière au-dessus de la tête : ce fut le pont Sous l’Eau. Et chacun de ces deux ponts était défendu par un chevalier, en sorte que, si l’on réussissait à les franchir, il fallait encore combattre le gardien à outrance. Les vaincus ou ceux qui n’osaient tenter jusqu’au bout l’aventure devaient jurer de ne point quitter la terre de Gorre avant qu’un chevalier les eût délivrés en forçant le passage : jusque-là, avec leurs amies, s’ils en menaient avec eux, et leurs écuyers, ils devaient vivre en labourant comme des serfs, aussi vils que sont les juifs entre les chrétiens.

Or, le pont de l’Épée était gardé par le propre fils du roi Baudemagu, qui avait nom Méléagant. C’était un chevalier grand et bien taillé, roux, la peau couverte de taches de son, d’ailleurs si orgueilleux qu’il n’eût laissé chose entreprise à tort ou à raison pour remontrance qu’on lui eût faite. Le jour que Galehaut confia à Baudemagu