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GALEHAUT SIRE DES ÎLES LOINTAINES

appelle la Vie des Pères qu’en la terre de Toscane, il y avait jadis une dame de très grande richesse qui avait longtemps mené folle vie. Non loin d’elle, au milieu d’une forêt, vivait un saint homme hermite. Elle fut le voir, et par ses bonnes paroles il l’amenda beaucoup. Une fois, pourtant, il lui révéla qu’elle n’avait plus que trente jours à vivre, et l’avertit de s’efforcer à bien faire jusque-là. Mais, à cette nouvelle, la dame sentit trembler sa chair et son cœur frémir, et elle désespéra, si bien que les diables se mirent en elle et qu’elle oublia le salut de son âme à cause de la peur de son corps. Pourtant, l’hermite cria merci à Notre Seigneur pour elle, et Dieu l’entendit : dans la chapelle une voix annonça au prud’homme que le don qu’il demandait lui était accordé. Il vint au lieu où la dame était, et elle pleura, lorsqu’il entra, tant les diables la tourmentèrent à ce moment. Mais, sitôt que le prud’homme eut fait de sa main le signe de la vraie croix sur elle, ils sortirent de son corps en criant, brayant et hurlant si fort que toute la terre en tremblait. Elle abandonna le siècle, coupa ses tresses, prit une robe de religion, et vécut jusqu’à sa mort sur un haut tertre, entre deux roches, en compagnie d’une seule pucelle. Et à cela vous pouvez voir que c’est un vil péché que de désespérer, car c’est du jour où elle le fit que le Saint-Esprit l’abandonna et que les diables entrèrent en elle. De même saint