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LES DEUX GUENIÈVRES

et me serve. Cette traîtresse Guenièvre, que tu tiens pour ton épouse, m’a jetée hors de mon royaume et déshéritée. Mais Dieu qui jamais n’oublie ceux qui s’abandonnent à sa merci m’a délivrée de ses mains. Je requiers que de cette déloyauté soit prise vengeance par le jugement de ta cour, et que tu amendes tes forfaits passés. Et parce que je ne puis écrire tout ce que je te veux mander, je t’envoie mon cœur et ma langue : c’est la pucelle qui t’apporte ces lettres. Je veux que tu croies ce qu’elle te dira de par moi. Quant à celui qui l’accompagne, c’est le plus loyal des chevaliers qui sont aux îles de la mer.


Le chapelain se tut et tout le monde demeura interdit. Le roi, après un long silence, regarda la pucelle :

— Demoiselle, dit-il, vous pouvez parler, puisque vous portez le cœur et la langue de votre dame. Et je voudrais savoir quel est ce chevalier, qui est le plus loyal de tous ceux des îles de la mer.

La demoiselle prit son vieux compagnon par la main et le mena devant le roi. Il était ridé et chenu, et semblait de très grand âge. Son visage était pâle et plein de cicatrices, et la peau de sa gorge pendante. Mais il avait les épaules larges et fournies, il était haut et puissant, et il se tenait comme un jeune homme.