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PIÙ NON VI LEGGEMMO AVANTE

ils n’ont point accoutumé de penser si hautement, ces chevaliers qui font grand état auprès des dames de choses qui, au fond, leur tiennent très peu à cœur. Et j’ai bien vu, il y a un instant, que vous aimez l’une de mes demoiselles, car vous avez pleuré d’angoisse ; et maintenant encore, vous n’osez regarder franchement de leur côté. À cela je vois que votre pensée ne m’appartient pas autant que vous dites… Laquelle est-ce ?

— Ha ! dame, en nom Dieu ! Dieu m’aide ! jamais aucune d’elles n’eut mon cœur en son pouvoir !

— J’ai vu ce que j’ai vu. Votre cœur est là-bas, quoique votre corps soit ici.

Elle disait cela pour le tourmenter, car elle sentait bien que c’était elle qu’il aimait d’amour. Mais lui, il fut si angoissé de l’entendre parler ainsi, qu’il se fût pâmé, si la peur d’être aperçu par les demoiselles ne l’eût retenu. En le voyant changer de couleur, la reine le prit par les épaules pour l’empêcher de tomber et elle appela Galehaut. Celui-ci vint tout courant, et quand elle lui eut conté ce qui s’était passé :

— Ha ! dame, fit-il, vous pourriez bien me l’enlever par de telles cruautés !

— Mais il prétend que c’est pour moi qu’il a fait tant d’armes : est-ce vrai ?

— Vous pouvez bien l’en croire : comme il a le cœur le plus preux, il a le cœur le plus vrai