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EXPOSÉ.

en somme assez connu, et l’on craint, malgré qu’on en ait, d’être bien audacieux en osant douter de l’identité de l’acteur Shakespeare et de l’auteur du théâtre shakespearien. Pourtant, à y regarder de près, il y a bien les deux tiers des phrases, dans l’ouvrage de M. Lee, qui contiennent un il me semble possible que, ou un sans doute, ou un il est permis de supposer que, ou un probablement, ou quelque formule analogue. C’est que M. Lee est un historien plein de probité et qu’il est incapable de dissimuler que ce qu’il nous dit de son héros est fort loin d’être certain. Nous savons où et quand Shakespeare est né, à qui il s’est marié, à quelle date il est mort, et nous connaissons un certain nombre de ses achats de terre et de ses placements d’argent, bref ce que peuvent apprendre sur la vie d’un homme des pièces d’archives. Nous voyons d’autre part qu’il a paru des pièces et des poèmes sous son nom, qui ont été goûtés et dont l’auteur a été loué. Mais de son caractère, de ses opinions intimes, de sa conversation, de son tempérament, de ses habitudes, de sa figure et de son aspect physique, nous ignorons tout pour cette raison qu’aucun de ses contemporains n’a pris la peine d’en souffler un mot. C’est ainsi. Et il faut avouer que c’est surprenant.

Car un homme qui, en moins de vingt ans, a donné trente-sept pièces incomparables (Racine en toute sa vie n’en a fait que douze), plus trois volumes de poèmes ; qui, tout en produisant cette œuvre immense par la qualité, mais aussi par la quantité, n’a pourtant pas cessé de jouer à Londres ou de voyager en