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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

donne un emploi de chef de bureau pour vivre au milieu d’illettrés, sans un livre dans sa maison, quand on est forcé d’admettre une pareille énormité, il semble illogique de ne pas accepter que lord Derby, que nous voyons vers le même temps renoncer peu à peu, comme un sage, à ses charges et à une partie de sa fortune pour se retirer dans sa ville favorite de Chester, ait pu dire adieu au théâtre, comme fit après lui un autre grand poète qui s’appelait Racine.

Voilà ce qu’on peut essayer de répondre aux adversaires de William Stanley. Mais il me semble bien que leurs principales objections sont des raisons de sentiment.

Une pareille erreur de plusieurs siècles sur une œuvre si sublime, cela paraît invraisemblable en effet. Je crois que s’il s’agissait d’un poète sans génie, on trouverait l’erreur moins choquante. Et pourtant elle le serait tout autant. — Quoi ! il se serait trouvé un homme qui, ayant composé l’œuvre de Shakespeare, n’en aurait pas même revendiqué la gloire ? — Mais ce n’est guère qu’au XVIIIe siècle, je le répète, que le génie de l’auteur d’Hamlet a été reconnu. Aux yeux de ses contemporains, il n’a été qu’un amuseur : seuls, les Sonnets passaient pour une véritable œuvre d’art ; encore ne suffirent-ils pas à placer leur auteur au premier rang. Et cela fait sentir comment lord Derby a pu ne pas réclamer la paternité qui lui revenait.

C’était un original, ce sixième comte de Derby, et