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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

mères ait été composée en 1601 : « M. Lefranc le croit encore, afin de placer à la même année le cadeau et le remerciement. » Mais non ! On le croit parce que, si des commentateurs reportent à 1598 la composition des Joyeuses commères, c’est afin de la rapprocher de Henri IV, où figurent déjà Sir John Falstaff et Mrs Quickly : telle est leur seule raison. Elle est faible : les personnages n’ont ni le même âge ni le même caractère dans les deux pièces ; et la première édition des Joyeuses commères est de 1602 seulement… — « Et, son remerciement, le nouveau chevalier le signe du nom d’un rustre ! » — Mais si ce n’est pas un remerciement ?

On sent bien que, au fond, c’est le principe même de la thèse qui paraît impossible à M. Beaunier, et qui l’irrite. Comment croire que les contemporains et la postérité se soient laissé tromper par une mystification de ce genre ? Mais supposez qu’il ne s’agisse pas d’une œuvre admirable : vous l’admettriez plus aisément. Or, ce n’est qu’au xviiie siècle que Shakespeare a été classé parmi les hommes de génie. Son temps le regardait comme un auteur de divertissements sans importance, et, s’il n’avait pas fait les sonnets « sucrés », il aurait été à peine rangé parmi les artistes. Qui aurait songé à l’égaler à Jonson, à Spenser, à Beaumont, à Drayton ? Wither en 1613, William Browne en 1616, Pacham en 1622, nommant les écrivains de leur temps, l’omettent. Le Daïphantus en 1604 oppose l’art d’un Sidney à la vulgarité de l’ « ami Shakespeare ». Jonson le trouve « sans art », Webster le classe au second plan, à côté de Dekker