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RÉPONSE À DES OBJECTIONS.

les « Stratfordiens », comme il dit, se permettent, en l’absence des moindres preuves écrites ou imprimées, de présumer que, dans cette école, qui peut-être n’exista pas, le jeune Shakespeare a reçu une instruction sensiblement analogue à celle qui se donnait dans des écoles, réellement existantes, de villes ou de bourgs égaux en importance à Stratford… Non content d’être un ignorant, Shakespeare ne laisse entrevoir entre les ténèbres épaisses de son existence que la certitude d’actes assez répréhensibles et qui font peu d’honneur à sa moralité privée. Il avait fort jeune épousé une femme des environs ; il eut d’elle plusieurs enfants ; soudain, un jour, à la suite d’un fait de braconnage sur les terres d’un grand seigneur, il disparut de Stratford, se réfugia à Londres, y mena une vie de misère telle qu’il s’en trouva réduit à appeler les voitures à la porte des théâtres, ce qui lui inspira sans doute le goût de la scène et lui fut l’occasion d’être engagé dans une compagnie d’acteurs… Dans son testament, qui ne parle ni d’art ni de poésie ni même de livres, il affecte envers sa pauvre femme de ne lui assigner en partage que le second, par la qualité, des lits de la maison, etc.

Or, le raisonnement prêté à M. Abel Lefranc n’est pas le raisonnement de M. Abel Lefranc ; ce qui « fait peu d’honneur à la moralité privée de Shakespeare », ce n’est pas d’avoir épousé fort jeune une femme, mais de l’avoir engrossée préalablement (mon Dieu, ce n’est pas un acte de vertu) ; s’il disparut de Stratford, ce ne fut pas après un fait de braconnage, attendu que l’histoire des daims dérobés est une légende ; si ce fut pour se réfugier à Londres, on n’en sait rien ; s’il mena dans cette ville une vie de misère,