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EXPOSÉ.

dix jours. Comme on portait son corps à l’église, voici venir M. de Varembon qui s’était ravisé et accourait la demander à sa mère. « Il advise de loin, au milieu d’une grande et triste trouppe de personnes en deuil, un drap blanc couvert de chappeaux de fleurs. Il demande que c’est ? » On lui répond que c’est Mlle de Tournon. Ô mortelle réponse ! À ces mots, il se pâme et tombe de cheval… (Mais plus tard, il fit un fort beau mariage.)

Voilà l’histoire de celle qui mourut d’amour pendant le voyage de la reine de Navarre en Brabant. C’est une histoire vraie, qui est tout à fait dans le goût des nouvelles du temps : aussi n’est-il pas étonnant que Marguerite y fasse plusieurs allusions dans ses Mémoires. On en dut beaucoup parler à la cour de Nérac : toutes les femmes de la reine avaient connu Mlle de Tournon, leur compagne. Doutez-vous, après les constatations qui précèdent, que ce ne soit à cette romanesque aventure que Rosaline et Catherine font allusion ?

Et si vous n’en doutez pas, voyez-vous comment l’auteur du théâtre de Shakespeare a pu y songer, non seulement au temps où il composait Peines d’amour perdues, mais lorsqu’il écrivait Hamlet ? Relisez l’histoire d’Ophélie. « Mais non, dit à la reine Polonius-Balançon, je suis entré rondement en matière et j’ai parlé ainsi à ma jeune demoiselle : « Le seigneur Hamlet est un prince hors de ta sphère ; cela ne doit pas être », et puis je lui ai fait la leçon pour lui dire qu’elle devait se dérober à ses entretiens… » Rappelez-vous l’angoisse de la jeune fille lorsque Hamlet,