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EXPOSÉ.

Pour mal connu qu’il soit encore, celui-ci nous apparaît déjà comme un curieux personnage. Durant les interminables procès qui suivirent la mort de son frère, il connut des heures très sombres. La bizarrerie de sa conduite envers sa femme, la violence de sa jalousie sont remarquables. Quand son frère mourut subitement et de la façon la plus suspecte, on insinua qu’il l’avait empoisonné ; peut-être les membres de la famille se soupçonnèrent-ils réciproquement. « Le personnage d’Hamlet n’a aucun caractère, écrivait Tolstoï ; c’est un phonographe de l’auteur, qui en répète les idées à la file. » Tout au moins peut-on dire que le poète doit s’être un peu livré en peignant ce héros compliqué : aussi, quelle peine se sont donnée les critiques pour expliquer les rapports psychologiques de l’étudiant princier de Danemark et de l’acteur Shakespeare, le plus terre à terre et le moins intellectuel des hommes ! Dans l’épisode des comédiens, par exemple, il n’est presque aucun commentateur qui n’ait imaginé Shakespeare lui-même, donnant de bons conseils à ses camarades sur l’art d’éviter l’emphase et de jouer avec naturel. Pourtant, ce n’est pas en camarade que le héros de la pièce parle aux acteurs, mais bien en prince, en grand seigneur, et assez méprisant, amateur de théâtre, auteur même, comme aurait pu faire lord Derby. Qu’il est excitant pour l’esprit de se le figurer gras, l’haleine courte, trouble et dévoré d’intelligence comme le prince Hamlet, ou jaloux comme Othello, ce William Stanley ! Je n’insiste pas sur ces hypothèses ; mais qu’elles soient possibles, il me semble que c’est un point acquis dès maintenant.