Page:Boulenger - L'affaire Shakespeare, 1919.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

grande question à laquelle tous les hérétiques de la foi « stratfordienne » se répondent intérieurement : non. Combien miraculeux, pensent-ils, serait un tel cas, combien unique dans l’histoire de toutes les littératures !… Je ne développerai pas ce thème car il n’est nouveau que pour ceux qui connaissent mal Shakespeare (ils sont légion en France), et qui n’avaient jamais imaginé l’homme qui écrivait Comme il vous plaira ayant l’âme d’un paysan usurier et posant sa plume pour aller poursuivre un débiteur. Jamais certains esprits n’admettront que le manager Shakespeare de Stratford soit l’auteur de Hamlet, du Songe d’une nuit d’été et du Juif de Venise. Ceux-là doutent d’abord. — Mais leurs adversaires répondent que tout est possible, et réclament d’autres arguments.

Alors les hérétiques leur demandent comment ils peuvent concevoir l’indifférence inouïe que Shakespeare fit paraître à ses propres ouvrages. Qu’il n’ait pas songé une seconde, durant ses loisirs de Stratford, à préparer une édition complète et correcte de ses œuvres, qu’il ne se soit jamais soucié, à aucun moment de sa vie, de publier une seule de ses pièces, c’est un peu déconcertant, mais qu’il les ait laissé paraître mutilées souvent, incompréhensibles par endroits, défigurées par des additions absurdes, telles enfin qu’on avait pu les reconstituer en corrompant tel ou tel acteur pour qu’il communiquât son rôle ou en notant au vol les répliques à la représentation,