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L’AFFAIRE SHAKESPEARE.

compagnie de sa troupe, ni même de s’occuper de ses affaires personnelles avec une assiduité et une habileté extrêmes ; l’homme qui, outre cette merveilleuse fécondité, cette activité et ce « sens pratique », a eu cette grande intelligence, cette culture livresque, cette expérience du monde, cet esprit et cette imagination, ne croyez-vous pas que ce devait être un causeur merveilleux, une nature attachante ou repoussante, mais non pas indifférente, et qui ne pouvait sembler sans intérêt à ceux qui l’approchaient ? Eh bien, il nous est resté quelques brèves appréciations contemporaines de ses œuvres (fort peu), mais aucun d’eux n’a pris la peine de dire un mot de sa personne. Ah ! pourtant un certain Greene parle de son « cœur de tigre », Manningham note en six lignes de son journal comment il aurait joué un bon tour à l’acteur Burbage en le devançant auprès d’une maîtresse (anecdote toute conventionnelle, historiette de fabliau) ; enfin Ben Jonson nous assure (dans un ouvrage publié en 1641, dix-huit ans après la mort de Shakespeare) que celui-ci, dont il avait assez déprécié l’œuvre durant sa vie, était « honnête et d’une nature ouverte et franche », et c’est absolument tout ce que les contemporains nous apprennent sur l’homme du vivant de celui-ci. Henslowe et Richard Allen font sur lui un silence inexplicable. « Dans les innombrables pièces liminaires que les poètes demandaient à leurs amis lorsqu’ils risquaient l’impression d’un livre, son nom ne se rencontre pas une seule fois. Réciproquement (constate M. Jusserand qui est « stratfordien » convaincu), il ne demanda rien quand