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d’audierne au bec du raz

Par suite du maudit ukase intempestif, il fallait renoncer au dîner de gala, renoncer à mettre au four les plats de riz destinés à fêter ce grand jour… Laissez faire, dirent les fidèles consternés, saint Yves saura punir, et les plaidoiries de ce grand avocat obtiennent gain de cause, toujours et partout.

Quel était donc l’aveuglement de M. le Recteur ? Certainement celui-ci songeait en lui-même… mes paroissiens ne sont pas gens processifs… La chapelle de saint Yves serait mieux placée dans la paroisse voisine, Primelin, renommée par ses procès, par ses avocats retors et habiles ; ils n’ont pas suffisamment de saint Tugen, avocat des chiens enragés !…

Ceci ne faisait pas l’affaire des dévots à saint Yves qui répondaient nous ne sommes pas gens à procès c’est vrai, c’est le pardon de saint Yves qui nous en préserve… Nous ne sommes pas non plus cause, ajoutaient-ils ironiquement, si le casuel ne vient pas se grossir de nos offrandes, parce que nous sommes gens de paix… Le pardon n’eut pas lieu cette année là, et mal en prit au curé de la paroisse… Trois jours après cet anniversaire laissé sans pompes et sans célébration, M. le Recteur eut l’audace de passer à vingt pas du sanctuaire, il était dans son char, les fidèles affligés imitaient son silence autour de lui rangés. Le pacifique coursier renverse la voiture, la culbute sous les yeux du saint courroucé, qui bien sûr, bien sûr, avait mis un bandeau au cheval… Le contempteur du saint breton est pris dans les engrenages de la roue, sa jambe est broyée, mise en pièces…

On n’osait pas crier bravo ; malgré tout, c’est une punition du ciel dirent les paroissiens.