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audierne

lune qui, dit-on, n’a plus d’habitants… Pour ma part, en entendant tous ces conseillers, je songeais à une fable italienne que je venais de lire :

J’aime à parler des fous, car c’est parler des hommes,
Érasme même dit que vous et moi, nous tous,
Plus ou moins fous nous sommes.

Et cette fable italienne venait à point en mon esprit, je la cite.

Deux fous riverains de la Doire, en Piémont, se disputaient : La rivière va trop vite, dit Paolo. — Moi je vous dis qu’elle va trop lentement, dit Pietro… Chacun d’eux raisonnait à sa façon et ils s’arment d’un balai, l’un en aval, l’autre en amont. Si je précipite les flots dit l’un, ceux qui suivent auront loi de hâter leur course… Si je refoule, dit l’autre, ils auront peine à se reconnaître, perdront leur essor, ils iront plus lentement… Ils réussirent à troubler la rivière, et telle elle coulait, telle elle coule encore.


Ô vous, grands conseilleurs, dont l’esprit se consume
À gaver les souffrants de diverses façons,
Mes fous, c’est vous, leurs balais, votre plume,
Leur rivière, les nations
On vous a vu parfois troubler les flots humains,
Mais pour les gouverner, il s’agit d’autres mains
Comme aussi d’une autre lumière,
Et grâce au maître des destins,
Sans vous doit s’arrêter ou couler la rivière.

Mais halte-là ! quand loin gronde l’orage, tranquille l’on dort. Quand il éclate au-dessus de nos têtes, quel est l’abri ? Vite on se met en quête… Les Sans Travail, peu nombreux d’abord, augmentent, augmentent ; bientôt se nommeront légion… On s’en aperçoit, les conseils ne cessent de pleuvoir, s’accumulent….. pendant que, dans l’avenue d’en face, on s’arme pour la lutte… on ne fait encore que s’essayer… Mais souvenons-nous de 1870, avant la Commune qui fit tant de victimes et n’était qu’un pronostic… on préludait par des chansons, par des vers, avant de venir aux actes, et l’on n’était pas préparé.