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audierne

un seul homme fera l’ouvrage de dix-huit… Grande est l’intelligence humaine ! me direz-vous ? Dans ce cas, c’est triste… Arrachez donc un os à l’animal affamé ! Voilà le cas… L’industriel, ou du moins, son représentant se présente à Audierne… nos ouvriers alarmés s’émeuvent… Qui donnera du pain à nous, à nos femmes et à nos enfants. Nous voilà réduits à chercher une autre voie, et laquelle ?

L’industriel est menacé, il résiste. Retirez-vous, dit la foule, déterminée à tout… L’agent se voit forcé d’abandonner la place, heureux d’en être quitte à si bon marché… car tous, hommes, femmes, enfants sont là… Struggle for life… la lutte pour la vie… et certainement la foule serait allée à l’exécution de leurs menaces. La mer était à deux pas, et on menaçait de le précipiter, s’il ne se retirait pas.

Un homme du métier, homme intelligent que j’interroge là-dessus me dit textuellement ceci… Cette corporation, je la connais, puisque toute ma vie a été consacrée à des entreprises de ce genre. To be or not te be, that is the question… être ou ne pas être, voilà la question finale pour eux. C’est évident.

Je vous l’accorde, quelques-uns sont peu dignes d’intérêt, mais ce sont des hommes qui ont été nécessaires, qui, ainsi que leurs familles, ont vécu et qui désormais ne sauraient occuper, dans la société, un emploi autre… Quel serait-il ?… On les réduit à la misère de ce coup. Je leur ai conseillé du calme, de la prudence, d’opposer la force d’inertie ; mais à part moi, je frémis, en y songeant. Que vont-ils devenir ? et, avec une exagération d’une crudité réelle, il ajouta : « le docteur Roux, le bactériologue distingué, l’honneur de l’humanité, aurait mille fois mieux fait de taire sa découverte