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La première phase de l’évolution marxiste est le marxisme tel qu’il a été formulé par les fondateurs du communisme scientifique eux-mêmes, Marx et Engels. C’est le marxisme de Marx, à une époque de l’histoire européenne qui n’avait rien d’organique ni de pacifique. L’Europe traversait alors une série de bouleversements, dont le plus formidable fut la révolution de 1848.

Ce qui alimentait les généralisations théoriques, ce qui donnait un contenu social aux formules révolutionnaires, c’étaient précisément les événements catastrophiques qui se déroulaient en Europe ; aussi l’époque où naquit le marxisme donna-t-elle une physionomie spécifique à cette grande doctrine prolétarienne et mit-elle son empreinte sur la construction logique du marxisme d’alors. Ce qui a donné son impulsion révolutionnaire au marxisme de Marx et d’Engels, c’est avant tout une puissance immense d’abstraction théorique[1] jointe à la pratique révolutionnaire. Vous savez qu’au faîte de son abstraction théorique, dans ses thèses sur Feuerbach, Marx exprima l’idée, qui nous est devenue familière, que, jusqu’à présent, les philosophes[2] ne faisaient qu’expliquer l’univers et qu’il s’agissait maintenant de le transformer. Ce courant pratique, d’actualité, du marxisme de Marx et d’Engels avait nécessairement son pendant social. Ensuite, toute la doctrine de Marx était nettement une théorie du bouleversement, elle était foncièrement, essentiellement révolutionnaire, dans sa théorie pure comme dans ses applications, dans ses superstructures idéologiques les plus élevées comme dans ses déductions politiques pratiques. Vous savez tous que lorsqu’on lui demandait où était l’âme de la doctrine marxiste, Marx répondait (en dépit de ce que professent un grand nombre de ceux qui se réclament actuellement du marxisme) que l’âme de sa doctrine n’était pas la théorie de la lutte de classe, déjà connue avant lui, mais la démonstration du fait que l’évolution sociale mène inexorablement à la dictature du prolétariat[3]. La définition que l’on donne ordinairement du marxisme : « Le marxisme est l’algèbre de la révolution », s’applique parfaitement au marxisme de l’époque de Marx et d’Engels. C’était un instrument merveilleux, une machine puissante qui servait au bouleversement du régime capitaliste par toutes ses pièces théoriques aussi bien que par toutes ses déductions pratiques et politiques.


LE MARXISME DES « ÉPIGONES »

Telle fut la première phase de l’évolution du marxisme, son premier aspect historique. Ensuite commencent une

  1. La force d’abstraction qui remplace, d’après Mars, dans les sciences de l’homme, l’expérimentation des sciences de ta nature.
  2. Nous disons aujourd’hui : les intellectuels.
  3. Voir aussi page 2, dans ma préface, ma rectification quant au véritable sens des paroles de Marx.