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travaille à s’affranchir, et dénoue les uns après les autres les liens de l’autorité dans lesquels elle était enchaînée. Alors entre la raison et l’autorité commence une lutte qui, de toute part se trahit au sein même de la philosophie scholastique. Cette lutte n’est d’abord ni franche, ni ouverte, soit que la raison elle-même n’ait pas encore une conscience claire de son but, soit qu’elle ne puisse l’avouer sans s’exposer à succomber certainement sous l’empire de la force ; elle commence d’ordinaire par se mettre à l’abri derrière cette autorité même dont elle aspire à s’affranchir. Mais à mesure qu’elle prend de la force, elle devient moins timide, et il arrive enfin un jour où après bien des vicissitudes, bien des revers et bien des triomphes, elle ose proclamer hautement son indépendance.

Telle est, en quelques mots, l’histoire générale de toutes les philosophies scholastiques. Car il est dans l’histoire plusieurs périodes philosophiques auxquelles par analogie ce même nom pourrait être donné.

Partout où la philosophie s’est rencontrée dans des circonstances analogues à celle où la raison humaine s’est trouvée au moyen-âge, partout où elle a été placée en présence de livres sacrés et d’un sacerdoce puissant, elle n’a été d’abord et n’a pu être qu’une philosophie scholastique, c’est-à-dire une servante et une humble interprète de la théologie. Telle a été d’abord la philosophie indienne, placée en face des védas et de la caste sacerdotale. — Telle a été aussi la philosophie arabe, placée en face du livre divin de Mahomet. Si l’histoire de la philosophie grecque ne nous présente pas un semblable phénomène, c’est que dans la Grèce il n’y a pas de livres sacrés, il n’y a pas eu de caste sacerdotale puissante, aussi la raison s’y est-elle développée avec plus de liberté, et les