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Repoussé de Versailles, Voltaire se vit accueilli à Sceaux, chez la duchesse du Maine, à Lunéville, où régnait Stanislas ; il finit, après la mort de Mme Du Châtelet (qu’il avait perdue en 1749), par se rendre à Berlin, où les sollicitations du roi l’appelaient depuis longtemps (1750). Frédéric le logea dans son palais à Potsdam, le nomma chambellan, lui donna 20 000 fr. de pension, et fit tout pour le fixer près de lui. Voltaire goûta dans ce séjour quelques instants de bonheur, mais bientôt il excita l’envie, et se fit, par son penchant à la raillerie, des ennemis acharnés, surtout parmi les écrivains français établis à Berlin ; il eut de violentes querelles avec Maupertuis, président de l’Académie, qu’il livra à la risée publique dans sa Diatribe du docteur Akakia : ses ennemis parvinrent à lui nuire dans l’esprit du roi, et, après plusieurs réconciliations feintes, les deux amis se séparèrent définitivement (1753). Voltaire parcourut alors une partie de l’Allemagne, s’arrêta chez la duchesse de Saxe-Weimar, à la prière de laquelle il rédigea les Annales de l’Empire, le plus médiocre de ses ouvrages ; puis séjourna à Strasbourg, à Colmar, à Lyon, et dans plusieurs autres villes de France, mais sans pouvoir revenir à Paris ; il habita quelque temps les Délices, sur le territoire de Genève (1755), et finit par se fixer à Ferney, dans le pays de Gex (1758). C’est là qu’il passa ses vingt dernières années ; il s’y construisit une magnifique demeure, y éleva un temple à Dieu, et fit par sa présence prospérer toute la contrée : ses admirateurs venaient de tous les points de l’Europe pour visiter celui qu’on appelait le patriarche de Ferney. Pendant son séjour en ce lieu, Voltaire, étendant encore le cercle de ses travaux, rédigea d’éloquents factums pour Calas, pour Sirven, pour Lally, victimes de déplorables erreurs judiciaires, réclama l’affranchissement des serfs de l’abbaye de St-Claude dans le Jura et publia des Commentaires sur Corneille, afin de doter une nièce de ce grand homme ; il mit la dernière main à l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, écrivit l’Histoire de la Russie sous Pierre le Grand (1759-63), l’Histoire du Parlement de Paris ; composa une foule de poésies des genres les plus divers, satires, épîtres, contes, épigrammes, poésies légères : écrivit ses romans en prose, si pleins d’esprit, mais aussi de malignité et de cynisme, et fit en outre de nombreuses tragédies, dont quelques-unes, l’Orphelin de la Chine, Tancrède (1760), sont dignes de ses meilleures années, mais dont plusieurs n’obtinrent pas même l’honneur de la représentation (les Scythes, les Guèbres, les Pélopides, etc.), et quelques comédies, entre autres l’Écossaise, dirigée tout entière contre Fréron. En même temps il entretenait une correspondance immense, animait de son esprit les Encyclopédistes, et lançait une foule de pamphlets, où il employait contre ses adversaires l’arme du ridicule, mais trop souvent aussi l’invective et l’injure ; parmi les victimes de ses sarcasmes on connaît surtout Desfontaines, Fréron, Labeaumelle, Nonotte, Sabatier, Trublet. Enfin, et c’est ce qui l’occupait le plus, il soutenait contre la religion chrétienne une lutte acharnée, et publiait sous le voile de l’anonyme ou du pseudonyme un grand nombre d’écrits impies : la Philosophie de l’histoire, la Bible commentée, l’Examen important de mylord Bolingbroke, l’Histoire de l’établissement du Christianisme, etc. ; c’est en grande partie dans le même but que fut rédigé son Dictionnaire philosophique. En 1778, à 84 ans, Voltaire, à la sollicitation de Mme Denis, sa nièce, qui le gouvernait, fit un voyage à Paris, afin de faire représenter Irène, une de ses dernières productions. Il fut reçu dans la capitale la avec un enthousiasme impossible à décrire ; mais, accablé d’honneurs de tous genres, il ne put résister à tant d’émotions, et il succomba trois mois après son arrivée (30 mai 1778). Il mourut chez le marquis de Villette, sur le quai qui a conservé son nom. Comme il n’avait pas reçu les secours de la religion, on refusa de l’enterrer à Paris ; son corps fut transporté à l’abbaye de Scellières, dont l’abbé Mignot, son neveu, était commendataire. En 1791, ses restes furent solennellement transportés au Panthéon, où ils reposent encore. Son cœur fut longtemps conservé à Ferney dans une urne, au-dessous de laquelle on lisait ce vers :

Son esprit est partout et son cœur est ici.

Voltaire est l’écrivain le plus universel des temps modernes : doué d’une merveilleuse souplesse, il a embrassé presque tous les genres, et a manié avec bonheur les styles les plus divers. Comme poëte, il a brillé à la fois dans la tragédie, où il se place auprès de Corneille et de Racine ; dans l’épopée, où il occupe le premier rang parmi les poètes français, quoiqu’il soit resté bien au-dessous d’Homère, de Virgile et du Tasse; dans la poésie philosophique, où il égale Pope ; dans la satire et surtout dans la poésie légère, où il est sans rival ; mais il a été moins heureux dans la comédie, dans l’opéra, et a échoué dans l’ode. Partout ses vers sont faciles et corrects : mais on leur reproche du prosaïsme et des rimes négligées. Comme prosateur, il a traité avec un égal succès la philosophie, l’histoire, le roman, le genre épistolaire : son style est irréprochable dans ses ouvrages sérieux ; il est toujours simple, clair, élégant, et brille surtout par la justesse et l’esprit. En histoire, il fut un des premiers à porter la critique dans l’étude des faits ; ses récits sont partout pleins d’intérêt ; mais trop souvent il est partial et altère les événements au gré de ses passions. Comme philosophe, il ne fit qu’adopter et propager les idées de Locke et de Condillac ; d'ailleurs la philosophie n’était guère pour lui que l’incrédulité, et, bien qu’il déclarât respecter la croyance en Dieu et les vérités morales, il n’employa le plus souvent son talent qu’à saper les fondements de toute religion : aussi la plupart de ses ouvrages furent-ils condamnés à Rome et même en France. Comme homme, Voltaire est un singulier mélange de qualités et de défauts : il était d’une mobilité, d’une irascibilité extrêmes ; il se montra vindicatif, peu scrupuleux et quelquefois hypocrite ou même menteur effronté ; mais il eut aussi des sentiments généreux et de nobles mouvements, fit beaucoup de bien et défendit en plus d’une occasion les droits de la justice et de l’humanité. Voltaire est assurément l’homme de qui on a pu dire le plus de bien et le plus de mal ; tout en condamnant sévèrement sa haine insensée contre la religion, on ne peut nier qu’il soit un des plus beaux génies que la France ait produits, et qu’il ait exercé pendant plus d’un demi-siècle une véritable dictature sur la littérature et la philosophie. — Les Œuvres de Voltaire ont été plusieurs fois imprimées, soit en totalité, soit en partie. Parmi les éditions complètes, les plus remarquables sont celles de Kehl, 1784-89, 70 vol. in-8, avec des notes de Condorcet, Decroix et Beaumarchais ; de Desoër, Paris, 1817-19, 13 vol. gr. in-8 ; de Lefebvre et Déterville, 1817-1820, 42 vol. in-8 ; de Lequien, 1822-26, 70 vol. in-8 ; de Dupont, 1825-27, 70 vol., in-8 ; de Dalibon, 1824 et ann. suiv., 75 vol. in-8 ; de Jul. Didot, 1827-29, 4 vol. in-8 compacts ; enfin celle de M. Beuchot, 1829-34, 70 vol. in-8, avec préface, avertissements, notes, table analytique : c’est la meilleure de toutes. Th. Foisset a publié en 1836 une Correspondance de Voltaire avec le président de Brosses ; Th. de Cayrol, en 1856, des Lettres inédites, 2 vol. in-8. La Vie de Voltaire a été écrite par Condorcet, le marquis de Luchet, l’abbé Duvernet, Mazure, Paillet de Warcy et Lepan. MM. Longchamp et Wagnière, ses anciens secrétaires, ont publié en 1826 des Mémoires sur Voltaire et ses ouvrages. Frédéric II, Laharpe, Harel ont composé son Éloge ; L. Brougham, Voltaire et Rousseau, 1857 ; A. Houssaye, le Roi Voltaire, 1858.

VOLTERRA, Volterræ, v. forte de l'Italie septen-