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UNE MARCHE DE NUIT

distance, affirme le vieux chamelier Sher Jan, il n’existe pas un abri, pas un arbre, pas une goutte d’eau ! Pourvu que les chameaux, épuisés par les marches précédentes, ne nous laissent pas en route. Dans tous les cas, nous emporterons deux outres d’eau distillée, et, pour éviter la lourde chaleur du plein midi, nous quitterons la station le soir même, sitôt après le coucher du soleil.

La petite caravane se met en route à neuf heures par un temps sinistre. Dehors le vent fait rage, de longs nuages noirs courent au ciel en une fuite éperdue vers le sud, et les chameaux affolés poussent leurs vilains cris lugubres. Ici, dans la petite maison, les vitres grincent et vibrent, faisant une chanson aiguë qu’accompagne le sifflement de la tourmente : on se croirait dans la chambre de veille d’un phare, une nuit de grande tempête.

Nous voici pourtant tous sur nos bêtes, face à face avec l’ouragan. Un méhariste du poste nous guide au milieu de hautes dunes de sable mais la piste n’est pas toujours facile à suivre dans l’obscurité et plusieurs fois nous nous égarons. À une heure du matin, je donne l’ordre de faire halte : nous sommes transis affreusement par le vent qui cingle et qui glace, aussi les hommes allument un grand feu de broussailles, et nous nous asseyons tous pêle-mêle autour de la flamme crépitante, heureux de cette minute de bien-être. On repart à deux heures ; le ciel est à peu près nettoyé et nous avançons maintenant plus vite sur un terrain

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