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ASCENSION DU KHARDONG

14 septembre. — Je dis adieu aux deux caravaniers qui restent ici. Youssouf, le conteur de légendes, pleure comme un enfant et je ne puis m’empêcher d’être ému à la pensée de quitter ce brave garçon qui nous a donné tant de preuves de son dévouement. Pour lui, jour après jour, pendant les rudes années de son existence, il va continuer avec la même courageuse volonté cette lutte âpre et constante contre les forces redoutables de la nature.

Le départ est sinistre : nous nous mettons en route sous la neige qui tombe à gros flocons, chassée par un vent glacial. On passe à côté d’un refuge ; des caravaniers y sont accroupis : devant la porte, ils ont amoncelé leurs charges, tandis que les chevaux serrés les uns contre les autres et tournant le dos à la rafale, font un peu plus loin comme une tache noire au milieu de la neige. Mais la tourmente redouble, on n’y voit pas à 20 mètres. Voici un second refuge : comme l’autre, il est envahi par de pauvres diables transis de froid.

Vers une heure, nous sommes au bord d’un petit lac entièrement gelé ; deux yaks, conduits par un vieux Tibétain dont la barbe est blanche de givre, nous attendent là depuis ce matin, et nous profitons Zabieha et moi de l’aubaine, tandis qu’Iskandar, furieux de ne pas trouver un troisième yak pour son usage personnel, manifeste quelque mauvaise humeur. Il a du reste une telle horreur de la marche que, malgré le danger très réel, il préfère rester sur son cheval et

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