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AUTOUR DE L’AFGHANISTAN

quant à Iskandar, il ne peut comprendre que ce soient les femmes, à la figure découverte, qui reçoivent ainsi l’étranger, et ses principes de musulman fanatique sont profondément choqués d’une pareille inconvenance.

Après quelques instants d’agréable farniente, nous allons faire un tour dans le village : une large avenue, bordée de grands peupliers qui alternent avec des tchortens, conduit à un vieux temple ombragé de platanes. Quelle quantité de moulins à prières ! il y en a partout : cylindres énormes qu’une chute d’eau fait tourner, moulins à vent perchés sur le toit comme des colombiers, simples bobines nichées dans le mur que les fidèles poussent avec la maim. Nous admirons l’ingéniosité religieuse de ce peuple naïf, tandis qu’un vieux lama, accroupi sous le porche du temple, nous examine en buvant à petits coups sa tasse de thé beurré. La tête complètement rasée, le torse enveloppé de façon pittoresque dans une étoffe de couleur lie de vin, il semble un vieux sénateur romain drapé dans les plis de sa toge.

Plus tard, du toit en terrasse qui couvre notre demeure, sous la lumière rosée du soleil couchant, j’assiste à la rentrée des troupeaux. D’abord s’avance, trottant menu, le flot pressé des moutons et des chèvres ; ensuite vient le défilé plus lent du gros bétail que ramène tout un essaim d’enfants à demi nus. Deux taureaux, les derniers de la bande, se livrent un combat furieux dans une mare que le crépuscule a rendue violette ; leur gardien, attendant sans hâte qu’ils aient

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