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peut-être allons-nous perdre, avec la tradition littéraire, ce je ne sais quoi d’aérien qui mettait dans la vie quelque chose de plus haut qu’elle. Pour faire des œuvres durables, il ne faut pas rire de la gloire. Un peu d’esprit se gagne par la culture de l’imagination et beaucoup de noblesse dans le spectacle des belles choses.

Et puisqu’on demande à propos de tout une moralité, voici la mienne :

Y a-t-il quelque part deux jeunes gens qui passent leurs dimanches à lire ensemble les poëtes, à se communiquer ce qu’ils ont fait, les plans des ouvrages qu’ils voudraient écrire, les comparaisons qui leur sont venues, une phrase, un mot, — et, bien que dédaigneux du reste, cachant cette passion avec une pudeur de vierge, je leur donne un conseil :

Allez côte à côte dans les bois, en déclamant des vers, mêlant votre âme à la sève des arbres et à l’éternité des chefs-d’œuvre, perdez-vous dans les rêveries de l’histoire, dans les stupéfactions du sublime ! Usez votre jeunesse aux bras de la Muse ! Son amour console des autres, et les remplace.

Enfin, si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous sembleront