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Et l’écuelle de bois et la salière antique
Ornèrent, trois cents ans, cette table rustique
Où ruminaient les sénateurs.

Quand ils se rassemblaient pour sauver la patrie,
Souvent l’odeur de l’ail emplissait la curie,
Jusqu’au portique sombre où s’inclinaient les rois,
Et laissant à moitié quelque brouet immonde,
Ils s’élançaient, d’un bond, à l’empire du monde,
Gorgés de raves et de pois.

Au retour des combats, après quelque victoire,
Leur nef jetait au port sa cargaison de gloire,
Tétrarques, chefs vaincus, étendards en lambeaux…
Mais ils se trompaient tous, honneur à toi, grand homme,
Ta voile triomphante a rapporté dans Rome
Des cigognes et des turbots !

Plus fort que ce marin dont le croc d’abordage
Éventrait à grand bruit les vaisseaux de Carthage,
Aux hérissons de mer tu lanças tes réseaux,
Et, conquérant gourmet, ceint de myrte et de lierre,
Avec tes cuisiniers tu parcourus la terre,
Pour assiéger des nids d’oiseaux !

Rome alors, ô Rufus, méconnut ton génie,
Et l’on dit que le peuple, avec ignominie,
Refusa la préture à tes vœux obstinés…