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Alors les vents du ciel berçaient de leur haleine
Mon sommeil étoilé de blanches visions,
Et tout mon cœur était comme une ruche pleine
Où chantaient les amours et les illusions.

Alors flottaient au loin des vierges gracieuses,
Essaim au pas léger dont j’entendais le bruit,
Elles me regardaient, sous leurs tresses soyeuses,
Avec des yeux brillants et noirs comme la nuit.

Puis partant, dans un songe, au pays des sultanes,
Je suivais la houri pâle et le front voilé,
Qui sur les golfes bleus, au branle des tartanes,
Mord, en rêvant d’amour, l’ambre du narguilé.

Je suivais par les bois, les vallons, les collines,
Ces amants, sous la lune, égarés deux à deux,
Tandis que sous leurs pieds le sable des ravines
Craquait, et que le vent sifflait dans leurs cheveux.

J’enviais dans mon cœur les jours de la jeunesse
Les transports, les serments et donnés et repris ;
Cette félicité qu’ont avec leur maîtresse
Les beaux étudiants, dans leur chambre à Paris.

Et de ces mille voix, ineffable harmonie,
De tous ces fronts charmants, penchés sur mon sommeil,
Une voix m’arrivait plus douce et plus bénie,
Un front, plus que tout autre, était pur et vermeil.