Page:Bouilhet - Œuvres, 1880.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Grâce des monts, douceur des horizons énormes,
Blanc duvet de colombe, au dos des mers jeté,
Ô splendeurs ! vous tombez des régions difformes
D’où le regard de Dieu s’écarte épouvanté.

C’est un monde effrayant plein de visions mornes,
Qu’un cratère éternel a fait rugueux et noir.
Là, des déserts sans fin suivent des mers sans bornes,
Comme la lassitude, après le désespoir.

Aucun pas n’a marqué ces plaines désolées,
Ou, si l’être s’obstine et s’y veut hasarder,
C’est quelque peuple affreux grouillant dans les vallées
Qui nous ferait mourir, rien qu’à nous regarder.

Comme un lépreux qui râle, étendu sur sa claie,
La nature enchaînée à ce sombre univers
Au pied des monts géants, pleure, et, par chaque plaie,
Va roulant sa sanie au noir égout des mers.

Et peut-être, ô terreur, quand du haut de la nue,
La nuit verse sur nous le silence et la paix,
La planète que ronge une angoisse inconnue
Pousse un long cri de mort qu’on n’entendra jamais.