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Chaque heure eut sa conquête et son but glorieux ;
La foudre le gênait, il l’arracha des cieux !
Il en fit la colombe aux messages fidèles,
Qui prit ses volontés sous le feu de ses ailes !
Le grand fleuve, oublieux des loisirs nonchalants,
Tourna sa meule lourde aux rouages sifflants ;
Et la flamme rapide, à son char attelée,
D’un hennissement clair éveillant la vallée,
Plus loin que la montagne et que l’horizon bleu,
Dans un nuage épais l’emporta comme un dieu !

L’homme connut sa force, et, secouant ses chaînes,
Poussa le cri joyeux des libertés humaines,
Sous les débris du temple écrasa les pavois,
Et pesant dans sa main la couronne des rois,
Sur la poudre du sol que son sang a trempée,
Il écrivit ses droits du bout de son épée,
Et pour juger sa cause évoqua sans remords,
Ainsi qu’un grand sénat, l’ombre des siècles morts !
Il fut libre, il fut maître. O misère ! ô démence !
Cercle mystérieux qui toujours recommence !
Voilà que, maintenant, vieillard au front pâli,
Dans la satiété de son œuvre accomplie,
Ployé sous le fardeau de ses six mille années,
Il s’arrête, inquiet, au bord des destinées !…
Sa raison l’épouvante et sa croyance a fui !
Sous le soleil qui baisse il marche sans appui,
Et son âme débile, où l’espérance est morte,
Comme un vaisseau perdu flotte au vent qui l’emporte !