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Le monstre beugle encor ; soudain battant des ailes
Mille oiseaux inquiets sortent des buissons frêles :
Ils viennent à l’entour, par le somme engourdis,
Heurter leur vol aveugle à ses flancs arrondis ;
Tout se lève à la fois dans les clairières sombres,
Et, sur le bord du ciel, passant comme des ombres,
Là-bas des cerfs géants, aux bois démesurés,
Dans le brouillard douteux, bondissent effarés !…

Voilà que s’éveillant, sous les étoiles pâles,
L’horizon montueux tremble par intervalles !
Et les mornes coteaux, de leur base arrachés,
Se suivent lentement parmi les joncs penchés !…
La plaine, sous leur poids, s’ébranle toute entière ;
On dirait des pieds lourds qui marchent sur la terre,
Et qui frappent ensemble à coups multipliés…
L’eau jaillit des marais, et les bambous, pliés
Comme sous un grand vent, craquent par les campagnes !…
Elle vient ! elle vient ! la troupe des montagnes !…
Et dans les longs détours du sombre défilé,
Chaque cime est vivante ! et les monts ont beuglé !


V

O mondes disparus ! ô siècles ! ô ruines !…
Comme le voyageur au versant des collines
S’arrête, et voit sous lui s’allonger à la fois
Les vallons frémissants, les fleuves et les bois…