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La vie hésite encore, à la sève mêlée,
Et, dans le moule antique, écume refoulée !

Sur la grève soudain, parmi le limon noir,
Une chose s’allonge, épouvantable à voir :
La masse, lentement, sort des vagues humides,
Un souffle intérieur gonfle ses flancs livides,
Et son grand dos gluant, semé de fucus verts,
Comme un mont échoué, se dresse dans les airs !
Elle monte ! elle monte ! et couvre les rivages !
Sous le ventre ridé sonnent les coquillages,
La patte monstrueuse, aux gros doigts écaillés,
S’étale lourdement sur les galets mouillés !
Au bruit des vents lointains, parfois la bête énorme
Tourne son museau grêle et sa tête difforme ;
Hérissant leur poil dur, ses naseaux dilatés
Semblent humer le monde et les immensités,
Pendant que ses yeux ronds, bordés de plaques fortes,
Nagent, lents et vitreux, comme des lunes mortes !
Hideuse, elle s’arrête, au bout du sable amer,
Et sa queue, en longs plis, traîne encor dans la mer !
Alors, montrant à nu ses dents démesurées,
Et fronçant sur son dos, ses écailles serrées,
Elle pousse avec force un long mugissement,
Qui s’élargit au loin sous le bleu firmament !…
Par les monts, par les bois aux mornes attitudes,
La clameur se déroule au fond des solitudes,
Et le vaste univers, écoute, soucieux,
Ce grand cri de la vie épandu dans les cieux !