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glaives brillent ! — Belle aube, aube meurtrière, comme je vous ai aimée ! Vous veniez vers moi, je tremblai. — Vos joues sont d’une pudeur si douce !

Oui, vraiment, j’ai eu peur de tout. D’atroces ter-r reurs glacent mon enfance. Cette aurore m’a épouvanté. Comme j’ai craint ses flammes, ses torches de baisers. Des tempêtes courent, lourdes, par clairs bonds de fleurs, roulent parmi la vallée houleuse. — On ne sait pas, on ne sait rien. Les gens d’ici rient affreusement. Le gros chien se couche et aboie. — L’hiver, une fine forêt de pluie ombrage le petit parc tout gris. Des torrents grossissent la rivière et l’îlot en face, vacille, fait naufrage.

Cependant, dès que je sus lire, les pires volumes

me furent des confidents. L’extravagance de leurs fictions parodia celle de mes désirs, les satisfit. Je connus des destins divers. L’Encyclopédie, antiques tomes velus, tout verts de lichens, la Bible et des contes passionnés m’éclairèrent bientôt sur mes émotions. Une mélancolie m’enchanta, j’y acquis des félicités. Le printemps pénétrait le bourg de blancs parfums. Près des profondes berges, accroupies, brillaient des chaloupes fleuries. Journées défaillantes de lectures. Par l’aride, verdâtre, pâle prairie crayeuse, j’allai à la rencontre d’Isaïe et d’Armande ! Le stratagème de ces exploits m’enflamma de fiévreuses passions. J’y pris d’héroïques sentiments, le goût du tragique, du barbare ! — Je me voulus despote, capitaine et amant. Mes yeux se détournèrent de la nature. Ce fut en vain que l’aube secouait le vieux heurtoir. Là-bas, des pivoines pavoisaient la plaine.