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fluviale. D’énormes poissons bleus y flottaient. L’eau montante inondait les berges, broyant les barques et les ajoncs. D’énormes tempêtes soulevaient des sites vers les azurs. — Mon Dieu, mon Dieu, est-ce donc la fin du monde ? — Ah ! les bons menuisiers du bourg,, dites, bâtissez vite notre arche de Noë ! — Ainsi chantait mon âme d’enfance.

J’ai besoin de sécurité. Aujourd’hui encore, apaisé pourtant, je sollicite l’abri d’une arche. Les aventures lues, une tonnelle enivrante d’odeurs, le spectacle d’un village rural, voilà les objets de mes émotions. Leur stabilité fit leur pathétique. Ils m’impressionnèrent d’être aussi exacts. Leur banalité m’exténua d’émoi. A regarder descendre au fleuve l’image d’un jonc ou du soleil je connus les plus belles délices.

De lourds chariots fatiguaient la route rouge. Sur d’ardents coteaux tremblaient des hameaux. Le clair petit ciel mince reluit. Apparue dans la blonde prairie, l’aube courtisait de gros coquelicots pudibonds. Les forêts résonnent, le flot roule pesant, l’air est chaud et bleu ! Abrité par le pur ombrage des chênes brillants, je médite jusqu’au crépuscule.

Je me suis baigné dans les jeunes luzernes. — Le village sourit, familier, je connais tous les gens des vignes, l’antique pasteur, le forgeron, le charpentier. Ces bons ruraux me saluent dans la rue. Les clochettes, des roses sonnaient sur les blés. Une blancheur poudroyait dans les coteaux de craie.

Vers l’époque des puérils passe-temps je me tins très loin — férocement. Abrité par le pur ombrage des chênes brillants je recueille mes cruels désirs pour des