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où on le reçoit, — dans le château de Goethe, une cabane ou bien même le tonneau de Diogène. Ainsi il supporte des destins divers. Il a vécu toutes les vies, il a tout ressenti et vu. Conformément à la contrée, il cultive le sol ou pêche dans les glaces. Ses occupations sont présentes. Il se fait docile, malléable, également devant Dieu, le pâtre, un artisan. Il les sert, s’humilie, cherche à discerner leurs passions, il les partage, il suit les événements. Il tente d’être ingénu, ce chemineau, s’abolit, volatilisé, quelqu’un qui s’effrite, une statue enfin, ressemblant à quiconque souhaitera s’y regarder. Au lieu où il habite il communie. Ses métamorphoses sont extraordinaires. Les vignes font de lui un vendangeur ivre, — les moutons l’acceptent pour berger.

Parce qu’il partagea mon repas, je le vois comme le plus exquis, le plus suave et le plus intime de mes amis. Car ce bon pain frais et cette grappe amère, voilà ce que j’ai de plus pur, c’est là le prix de mon travail, ma force et mon sang, réellement. Ainsi, je ressuscite en lui.

Cependant l’infortune et la mélancolie, la pénurie et la tristesse le portent à mépriser la vie. Je ne connais pas de pire sentiment. Il suit la route avec des rires, et il la suit avec des larmes. S’il s’arrête près du puits ou à l’entrée du port, c’est par un hasard des trafics. Ah ! jamais de. repos, nul feu et nul foyer, pas même une table où apporter le fruit conquis.

Heureux l’homme de qui le destin peut s’abriter sous les voûtes de fleurs d’une maison. A celui-là la garde d’une race est attribuée. Son immobilité témoigne de son état. Il possède des granges à combler de foin. Ses