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Les maisons clignotent, rouges de roses. Le chien pasteur hurle et aboie.

Sous les profondes arches des ponts lourds, le fleuve gonflé, écume, bouillonne. Qu’il soit moissonneur ou marin, rien ne l’occupe, cet exilé, sinon le souci du pain et du gain quotidiens. Aucun but, point d’espoir, de fiévreuses amours de passage, le vin bu à un cabaret ; ici, aujourd’hui et demain dans quelque île lointaine. Il se passionne pour tout, il travaille au profit de quiconque l’abritera ; volatile, sans précise fonction — et les prenant l’une après l’autre — il tient celle que désirent l’urbain et le rural. D’ailleurs, partout, toujours il demeure l’étranger. Le soir, à un seuil, magnifique ou humble, il n’est pas une femme qui l’attende. Sa tâche accomplie, de pèche, de labour, personne ne l’accueillera avec grâce, au retour.

Vagabond, sans but, — hors celui, peut-être, de n’en pas avoir — hôte de chaque auberge, parmi les hameaux et les bourgs, soumis, strictement disponible, gîte, en tous lieux, calmement. Il accepte le sort qu’on lui fait. Il est docile à l’homme, s’il l’héberge, le nourrit. En quelqu’endroit qu’il aille, il s’abdique, n’a plus lieu. Il devient le pirate, le roi ou le carrier que font de lui les conjonctures et l’assentiment des nations. Chacun le pétrit, pâte ductile, flexible, où, tour à tour, l’aurore, vous-même, Dieu s’apparaissent. Tantôt charpentier, et tantôt matelot, il se peut qu’il conquière aussi des îles ou des trophées de thyms. Apte à tout, c’est l’aventurier. La pénurie est sa compagne. Exposé à la lune, aux chocs gris de la pluie, à la grêle, aux intempéries, par crainte et afin de s’en préserver, il se couche partout