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Mais Kant, sa vie à Kônigsberg, compose un exemple plus sublime encore de cette opportune soumission. A part des légendes d’évangile, celle de quelques héros païens et des grands hommes que j’ai cités, je n’en connais point de plus émouvante. L’effroi qu’il eut de sa pensée, le porta à la sacrifier. De peur d’être accablé par ce mortel trésor, il le perdit, s’en dépouilla. Les gens qui habitaient cette froide cité allemande, purent se convaincre, à tout instant, de la perpétuelle dérision dans laquelle ce grand philosophe tenait ses conceptions d’individu. Corrompu du pire •scepticisme, il parut tranquille, réglé et prévu. L’extraordinaire renonciation ! Au lieu extrême de la pensée, où l’âme converse avec Dieu même, sa vue tout à coup se troubla, il fut pris du vertige de l’ombre et de la mort. Voilà pourquoi il résolut de ne point se confier à ses méditations. Alors il distingua l’étroite route tout unie. , Petites maisons faites de pierres et de pin. Et les roses rouges qui brûlent parmi d’éclatantes treilles, toutes les basses rumeurs citadines ! Des hauteurs d’où le monde lui semblait si confus, si trouble, il redescendit entra dans le bourg. Je pense qu’il avait décidé, enfin, d’ébruiter seulement chez ses familiers les élégiaques notions dont la force l’animait. Pourtant il convint de leur présomption. Ce philosophe si incertain, que brisait l’inconstance des événements mobiles, vous savez qu’il tenta de paraître ingénu. Des suaves secrets de sa pensée il ne fit part qu’à un conciliabule. Peutêtre avait-il peur de ses vertus. Au populaire citadin, il présenta l’intact exemple d’une existence réglée, patiente sans équivoque.