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Aussitôt qu’il me fut permis d’imaginer moimême, de belles expéditions et des lieux chimériques, je m’entourai de personnages dont les vertus naissaient des miennes et qui me flattaient extrêmement. Un héros fictif nous réhabilite, et sa vraisemblance nous contente. Nourri des hautes flammes de notre âme, il se lève de l’ombre, avec frémissement. Comme je convoitai des provinces, on s’en empara sans bataille aucune. Je me consolai à Ithaque, auprès de l’antique Télémaque, des rudes calamités qui frappèrent ma maison, et c’est en compagnie de cet exquis jeune homme que je fis mes plus beaux voyages. Nous avons franchi les blanches mers. Sur les poupes brillaient de fortes écumes glauques. Quand nous atteignîmes l’île océanique, quels chants n’y ont point retentis, de quelles magnifiques fêtes ne fûmes-nous accueillis ! Eucharis nous mena dans l’épaisse grotte de roses que tapissent des feuillages violets, et des pommes d’une nacre écarlate. Comme mon compagnon se réjouit ! Il pressa dans ses bras sa délicate amante. Ils s’embrassèrent avec violence et le spectacle de leurs amours m’arracha d’élégiaques soupirs.

Avide de tumulte, je tentai l’échec, l’épouvante, la gloire. Je me comparai à Patrocle. Un jour, je visitai Tancrède, seigneur fade que pare une pureté ardente. Des collines se précipitèrent vers l’eau des lacs. Une nuée orageuse cabra ses noirs souffles. L’opulence des vignes et des pins couronnait les pics tout brillants de glaces, d’où sortent des tempêtes, le froid et la nuit. — Je m’enfuis, je revins chez moi.

C’est vers ce temps-là, à peu près, que je me suis reconquis.