Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/113

Cette page n’a pas encore été corrigée

découvrit pas, il se ressouvint, médita. Il en a tracé le plan et l’enceinte. Malgré qu’il avait fréquenté les plus riches seigneurs des châteaux, il ne méprisa point son métier de copiste, et même quand son œuvre l’eut rendu fameux, il demeura dans l’esclavage. Peut-être s’honorait-il autant- de remplir strictement sa bonne tâche quotidienne pour le gain et le pain de vie, que de ces tumultueux manuels où resplendit l’âme même d’un dieu.

Cette pauvre innocence, quelle beauté ! Il avait besoin, cet homme, de joie large, 3e tendresse, d’amité aussi. Et en effet nous connaissons que certaines âmes trop fiévreuses ne persisteraient point dans leur existence si elles n’en découvraient les confidents. Pour Rousseau ce fut ainsi : Deux ou trois amis l’auraient contenté. Il se serait confié à une blanche amoureuse, le premier venu, un passant quelconque, tout aussi heureusement qu’à une nation. Plus tard il déplora l’éminence de sa gloire et il regrettait l’étroite maison peinte, incendiée de glaciales couleurs, la pacifique province au milieu des montagnes, les grands bœufs, l’âne, le lait, la haie. Le hasard fit qu’il écrivit et ses chants bouleversèrent le monde. Mais plus d’intimité lui eut paru plaisante, quoique l’agitation des races fut digne de son âme et de ses mérites.

Tendre, élégiaque et ingénu, ce grand homme m’impressionne, m’exalte. Il aurait fui la solitude si son cœur eut été aimable. Et de peur enfin que ses sentiments ne trouvassent point les confidents dont la profonde noblesse eut égalé la sienne, il s’éloigna de tous les hommes qui eussent pu aspirer à l’être.