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une sécurité : boire, casser du pain, simplement. Comme nous tentions des gloires qui nous sont défendues, demeurons là, sans espérance près du bon vin et du bateau. — Rousseau regretta toute sa vie, d’avoir quitté au coup d’une fâcheuse ambition, la pauvre échoppe profonde où travaillait son père. Pour l’imprévu de périlleuses péripéties, et à cause des spleadeurs qu’il pressentit en soi, il abandonna l’allégresie tranquille. Sa gloire ne le satisfit point, tandis qu’une champêtre amitié eut éteint la flamme de ses tentations. — Mais l’espoir toujours apprivoise nos doutes.

Oui, ce qui me touche dans Rousseau, ce n’est point tant ses pures vertus, l’humeur bilieuse de ses passions, un génie tragique tumultueux, que l’atroce dédain qu’il en eut, et bien plus encore que ses aventures j’admire son désir de n’en pas avoir. Son illustration le mécontenta. Il ne se consola jamais de ses triomphes. Avec une brûlante sensibilité, les plus suaves émotions du monde, il éprouvait l’insuffisance de sa fortune. Désespérant d’atteindre à cette magnifique gloire, de laquelle il se sentait digne, il n’aspirait plus qu’au repos. Aux extrêmes époques de sa vie il n’eut guère fait de différence entre un humble état d’artisan et l’apothéose d’un héros.

Le sublime, l’étonnant grand homme ! comme il il conçut l’identité de tout ! Peu lui importait d’être obscur pourvu qu’il connut le repos. Mais il prétendit se réaliser. Parce qu’il ne pouvait gouverner les races, ni instituer des codes vertueux, il résolut d’en rêver l’illusion. Après avoir cherché la cité idéale, laquelle il ne