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parent de tout notre être, y chantent, prennent nos confuses pensées et les ébruitent très publiquement. C’est pourquoi nous les adorons. On ne demeure jamais stable, on les accompagne partout. De peur de périr sans trophée on prefère encore ces feintes turbulences. La vertu d’Aristide contrepèse notre opprobre. En compagnie d’Églé, d’Héro ou d’Eucharis il demeure loisible et facile de s’attribuer le charme de grâces surnaturelles. Aussi ne restons-nous jamais chez nous. Ces fictifs seigneurs nous entraînent fort loin. Les régions où ils nous dirigent, voilà le paysage choisi ! Nous éprouvons au milieu d’eux la séduction des mers, des moissons et des bois, les béatitudes de la haine, les fiévreuses émotions de la mélancolie. A la défaite ou aux victoires présentes nous préférons toujours les parades d’Agathocle. Aucune conjoncture n’apaise nos passions. La gloire de notre état nous semble insuffisante. Et c’est afin d’y suppléer que Rousseau, Hugo et Eschyle nous ont prêté des aventures, d’équivoques joies.

Quel homme n’espère point de somptueux destins ! — O l’Arcadie, froides forêts roses, et les retentissantes prairies, larges montagnes d’Ithaque où paissent des troupeaux ! O les frais asiles, là, ici, ailleurs !

Nous sommes nés féroces, contractés, une rouge frénésie nous embrase. D’ardentes ambitions brûlent nos songes. Le soin que nous prenons de les dissimuler, ces pathétiques petites idylles et une multitude de mythologies nous en dénoncent tout à la fois l’inutilité et le sentiment. Nous pourrions épargner ces puériles précautions. Le pire paysan se sait vénérable. Pourtant