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le bilan du nationalisme

vous avez méthodiquement réfuté leurs raisons et prouvé, les faits en main, qu’il y a des juifs prolétaires, et des juifs loyaux, et des juifs courageux, ils vous répondent, on levant les bras au ciel : « C’est vrai. Tout cela est possible. Mais que voulez-vous ? c’est plus fort que moi : je ne peux pas sentir ces gens-là. » C est ce que Gyp exprimait d’une façon concise et élégante en réponse à un interviewer qui cherchait les raisons dernières de l’antisémitisme : « Affaire de peau. » Or, devant un instinct sous-jacent aussi fortement enraciné dans les âmes et dans les organismes mêmes, comment le nationalisme ne s’inclinerait-il pas ? Il se trouve là en présence d’un de ces sentiments « plus forts que nous », qui nous mènent et doivent nous mener. Je sens que ces gens-là ne peuvent être de bons Français, et quiconque ne sent pas comme moi n’est pas un bon Français. Il n’y a rien à répondre à cette argumentation. Et le nationalisme n’y trouvera rien à reprendre. Ne fait-il pas appel aux plus profondes, aux plus irraisonnées, aux plus naturelles des impressions ? Bien loin de s’étonner qu’on se laisse guider par elles, M. Soury se plaindra qu’on n’en use pas assez. Il se plaindra de ce qu’il appelle « l’anesthésie ethnique » de ses contemporains, incapables, pour la plupart, de reconnaître ceux de leur race